La mémoire de l’esclavage demeure vive dans les couvents Vodoun au Bénin
Découverte d’une chaîne d’esclave
Le temps passe mais la mémoire de l’esclavage demeure vive dans les couvents Vodoun au Bénin. Elle est même encodée physiquement, à même la chair, sous forme de scarifications. C’est l’essentiel à retenir du travail minutieux de recherche mené par le Groupe Universitaire de Recherche en Histoire et Culture au Bénin qui a découvert un nouveau vestige d’esclavage transatlantique dans le couvent de la divinité « Xêfiosso Tchango » à Djigbé dans la commune de Dangbo, département de l’Ouémé.
Il s’agit d’une chaîne offerte à la collectivité des « Djigbé Gbalinou Agayitö » sur contrat par des négriers portugais il y a environ 203 ans. En attendant l’arrivée des portugais pour l’embarquement, cette chaîne servait en effet à la détention des esclaves récalcitrants !
Enquête et interview des anciens de la collectivité à propos de l’histoire de cette chaîne
A la question pourquoi et comment vos aïeux sont rentrés en possession de ladite chaîne, son altesse, Etienne SOTON, président des patriarches du clan des « Djigbé Sokonnou Agayitö » du Bénin répond :
L’implication de nos aïeux selon l’histoire des faits qui nous est parvenue d’après la tradition serait partie des attaques répétitives des royaumes d’Abomey et de Porto-Novo contre le pays Wémè. Des guerriers ne tuèrent pas, mais capturèrent vivants nos aïeux, des jeunes gens en âge de se marier à cette époque de l’histoire. Si j’ai de la mémoire, mon grand-père à moi, Soton DJISSONON racontait que ces guerriers tirèrent des coups de feu en l’air ou abattirent parfois quelques uns des hommes en terme d’avertissement pour les autres, qui ne pouvaient alors qu’accepter le triste sort d’être arraché violemment à l’affection de leurs proches et alliés pour être emportés vers une destination inconnue.
Avant de venir s’installer ici, nos aïeux ont fui les mêmes guerres de razzias de Djigbé-Agué, leur région natale qui se situe dans l’actuel département de l’Atlantique où ils étaient de grands chasseurs et des agriculteurs. Ils voulaient s’installer définitivement dans l’un des villages suivants : Sêdjê-Denou, Zinvié, Sêho-Djigbé, Azowlissè et Dangbo Djigbé-Zoungo. Toutefois, ils ont été repérés et pourchassés jusqu’ici, où ils ont cru être à l’abri des hostilités. La cause de cet acharnement contre nos aïeux, est que nous sommes d’une ethnie où la plupart des gens sont géants, costaux avec un grand gabarit et très tenaces pour les travaux champêtres tels que la culture de manioc, la patate douce ou le maïs qui demandent beaucoup d’énergie et de savoir faire.
N’ayant pas d’armes à feu pour affronter l’ennemi, nos aïeux ont choisi l’option de conclure un arrangement avec les négriers juste après la déportation de l’un des leurs appelé Hanssinon Gbëbo, dont le nom est parvenu jusqu’à nous grâce à la transmission orale. Cette chaîne faisait partie de l’accord conclu.
Cette transmission transgénérationnelle s’appuie, comme c’est souvent la coutume au Bénin, premièrement sur un ou plusieurs objets-reliques fortement représentatifs et symboliques des événements passés, la chaîne servant à attacher les esclaves dans ce cas précis. Ces objets sont placés dans des sanctuaires ou autels du culte local. Deuxièmement, la transmission orale repose aussi sur un support immatériel que l’on appelle panégyrique clanique.
De la petite et triste histoire, Hanssinon Gbëbo selon les dire de mon grand père, aurait été chanteur de la musique chinkoumè comme le dit son nom « HANSSINON » qui veut dire « chanteur » ou « griot » en langue Wémè du Bénin. Chasseur à l’arc, il devint surtout célèbre sous le patronyme de Hanssinon à cause, dit-on, de la qualité exceptionnelle de sa voix, qui était très appréciée dans le royaume de Djigbé et ses environs.
Esclavage, sujet toujours sensible, dont la mémoire est toujours bien conservée
L’histoire de sa capture vers la fin du XIXème siècle a été inscrite de façon indélébile dans la mémoire familiale grâce à cette chaîne et surtout à notre panégyrique clanique qui détient un récit laudatif des faits se rapportant à lui et dont nous ne pourrons ici développer toute la portée afin de préserver le pacte de paix des collectivités locales. Sachons simplement que les plaies laissées par l’esclavage sont encore bien vives dans beaucoup de familles béninoises.
On remarque que la tradition Vodoun confère un caractère sacré à cette chaîne qui retrace la mémoire de l’esclavage au sein du clan des Djigbé Sokonnou Agayitö du Bénin, d’où sa conservation fixe dans le couvent Vodoun qui est un haut lieu savoir endogène réservé aux initiés des pratiques ancestrales. Longue de 4 mètres environ, cette chaîne est posée au dessus de l’autel dressé à la divinité Tchango Xêfiosso, qui est la divinité clanique de peuple Djigbé Sokonnou Agayitö, originaire d’Oyo. Leur présence dans toute les communes du sud Bénin a été possible grâce à leur passé historique agité par les guerres de razzias introduites en Afrique par la traite négrière avide de main d’œuvre.
Aujourd’hui, le clan des Djigbé Sokonnou Agayitö compte à lui seul plus de 8 000 citoyens repartis dans tout le Bénin. On les distingue souvent par leur haute taille, leur robustesse, leur cicatrice raciale arquée sur chaque joue dans le sens de l’oreille, une voix assez autoritaire en cas de conflit, etc. Il s’agit d’un groupe ethnique comparable aux peulhs en matière de ténacité. A l’image du tonnerre, leur dieu protecteur, ils sont très combatifs et résistants.
Perspectives de recherches à partir de ce cas concret
La tradition orale ne nous permet pas de savoir toute la vie et l’œuvre de l’ancêtre Hanssinon Gbëbo après sa déportation en esclavage outre Atlantique. Cependant, notre groupe de recherche en Histoire et Culture au Bénin a pu constater que le nom Hanssinon réapparaît en 1848 en Martinique sous le patronyme Ancinon, juste après l’abolition de l’esclavage, quand les nouveaux libres ont été nommés à l’état civil. Hasard ou réelle résurgence ? S’agit-il d’un curieux concours de circonstances au cours de la fabrication des patronymes donnés aux affranchis au moment de l’abolition de l’esclavage ou faut-il y voir l’obstination d’un esclave décidé à récupérer son identité ? Nous laissons cette question en suspens.
La tradition orale et les objets rituels du souvenir constituent la matière première pour de nouvelles pistes de recherche pour des chercheurs internationaux qui voudraient mieux connaître le système de conservations de la mémoire de l’esclavage dans l’ancien Dahomey. La mémoire de l’esclavage demeure vive dans les couvents Vodoun au Bénin.