Séminaire sur l’esclavage transatlantique à Adjarra (Bénin)
“Piste de l’esclavage dans la commune d’Adjarra”
C’est bien le thème autour duquel se sont réunis un groupe d’historiens, de magistrats, de chercheurs, de conservateurs de musée, d’universitaires nationaux et internationaux ce 30 novembre 2015. La rencontre a eu lieu dans le département de l’Ouémé et c’est la salle polyvalente de la mairie qui a servi de cadre pour cette journée de réflexion. Après les présentations des résultats de recherches entamées depuis 2005 sur les vestiges de l’esclavage dans les villages et hameaux de la commune, les participants ont examiné les traces matérielles et immatérielles de l’esclavage encore exploitables dans cette localité du Bénin.
D’après la géographie administrative présentée par les historiens et chercheurs, cette commune du Bénin est à cheval sur les bassins de la rivière Aguidi (affluent de la rivière nigériane du nom de YEWA), et du fleuve Ouémé. La rivière Aguidi jouit d’un régime d’écoulement ininterrompu. Elle bénéficie d’une grande dépression marécageuse, laquelle est traversée de plusieurs voies d’eau navigables à pirogue jouant un rôle prépondérant dans les transactions entre toutes les localités riveraines d’Avrankou (une très ancienne province du royaume Wémè et d’Ifangni et surtout le Nigéria (Oyo) qui était le fournisseur le plus proche en fer après le Ghana. Elle a pour superficie 112 km² et compte 60 112 habitants, répartis dans six arrondissements qui comptent 48 villages.
D’après Aubain HOUNSINOU, proviseur retraité du lycée Béhanzin et communicateur du présent comité de recherche, “les patrimoines matériels, à savoir la place Ahouanmantin, l’iroko Ahouansouloko, les chaînes de détention des esclaves et la rivière Mëdédjönou etc.. appuient incontestablement la participation de la commune d’Adjarra à l’esclavage local et transatlantique.”
Le tabou sur l’esclavage empêche toujours la parole de circuler
Dans son intervention de 30 mn, le proviseur rapporte que l’esclavage est un sujet tabou dans la tradition telle qu’elle se transmet à Adjarra compte tenu des différends susceptibles de rompre la cohésion sociale dès lors qu’on en parle. A en croire le communicateur, sur quarante personnes interviewées, c’est une seule personne qui a eu le courage d’avouer publiquement qu’il est descendant d’esclave. Il a donc fallu prendre appui sur les produits de la littérature orale à savoir les chansons, les proverbes et les panégyriques généalogiques avant de réaliser que la crainte de transgresser les tabous ancestraux est ce qui empêche les descendants de bourreaux et de victimes de s’exprimer librement sur cette partie de leur histoire familiale, bel et bien partagée dans le cercle privé mais indicible en dehors de celui-ci.
Le contenu des ces informations est pourtant ce qui permettrait aux chercheurs d’avancer dans leurs hypothèses de travail. Néanmoins, plusieurs informateurs ont affirmé clairement que les chansons et les proverbes constituaient pour eux des documents dans lesquels ils archivaient les faits dignes d’intérêt d’être transmis aux générations futures. En ce qui concerne ces chansons qui relatent des faits récupérables dans le temps et dans l’espace, le proviseur dans sa communication félicite au passage Fernand AGBAYAHOUN, l’actuel médiateur culturel de la préfecture des départements de l’Ouémé et du Plateau qui a effectué un effort louable en 2005 chez feu le patriarche Kinvoédo HONFO en sauvegardant une chanson de mémoire qui retrace les faits esclavagistes au sujet de la place Ahouanmantin.
De la mémoire vers l’auto-censure, un processus à inverser
Le communicateur n’a pas fini son intervention sans signaler l’importance des panégyriques généalogiques appelés AKÖMLANMLAN en Goun et ORIKI en Yoruba. Tous les informateurs s’accordent à dire que les panégyriques claniques doivent leurs origines à l’ingéniosité des ancêtres fondateurs des groupes lignagers et de ce point de vue, le proviseur dit que le panégyrique clanique serait né du souci des tout premiers ancêtres de transmettre à leurs descendances les événements marquant la genèse de leurs groupes et de leurs rapports avec d’autres. A l’origine donc, le panégyrique a été constitué d’une à deux phrases situant l’ancêtre, ayant vu le jour dans un contexte socioculturel particulier. Par la suite, sont venus s’ajouter au fil du temps, les acquis sociologiques des peuples. Donc le panégyrique représente pour les lignages, toutes proportions gardées, à la fois, leurs registres historiques, leur dictionnaire des us et coutumes et celui des rites conçus par et pour le groupe…
Le rôle occulte dans les panégyriques
La déclaration du proviseur au sujet des “tabou” qui est une méthode d’autocensure de l’information au sujet de l’esclavage va être appuyée par Pierre D. AHIFFON, magistrat à IPF de Porto-Novo. Pour soutenir ce qui a été dit, le magistrat prend l’exemple des cas des jeunes filles togolaises, béninoises et même ghanéennes que trafiquent certains sur le Nigéria à des fins de prostitution, après avoir accompli des pactes de sang devant des fétiches. Cette technique qui sert à dompter, mystiquement parlant, l’esprit d’un serviteur devrait son statut aux pratiques esclavagistes qui étaient censées permettre aux maîtres de s’assurer la docilité de l’esclave dès sa capture jusqu’à sa livraison aux marchands européens. Ainsi, à la dimension du tabou de l’esclavage vient s’ajouter le secret des pratiques occultes qui verrouille encore davantage la pensée et la parole du détenteur du savoir panégyrique.
Objectifs conclusifs du séminaire esclavage transatlantique à Adjarra
Comme l’essentiel à retenir, le présent séminaire vise à immortaliser dans un document écrit les patrimoines immatériels et matériels de l’esclavage transatlantique ou local découverts sur le sol d’Adjarra en vue de leurs pérennisations pour le développement culturel et touristique de la commune en particulier et de celui de tout le Bénin en général.
Le Maire et son conseil communal se disent être prêts à accompagner le projet jusqu’à sa finalisation.
Il faut noter que ce séminaire a reçu la participation de nombreux éminents professeurs en histoire tels que Mme ALICE BELLA GAMBA, venue d’Italie, ADANDE Joseph et des conservateurs de musée tels Noël Cossi AGOSSOU, Albert HOUNKPEVI, Didier J. U COMLAN sans oubliés Gildas DOHOUNKPAN, pour le compte de l’ONG Symbole de l’Amitié, pour ne citer qu’eux.